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À la recherche du temps vécu… dans le roman du XIXe siècle
Au XIXe siècle, avec la scansion rapide des révolutions et des successions de régimes, le temps se vit sous le signe de la discordance, comme l’ont montré les historiens François Hartog et Christophe Charle. Les progrès techniques, en réduisant les distances géographiques, rapprochent également les expériences temporelles et favorisent un "partage du sensible" entre différents territoires, différents groupes sociaux et différentes générations. Quant à "la civilisation du journal", elle crée des rythmes périodiques où s’invente une actualité de plus en plus partagée à mesure que l’alphabétisation progresse. Ces nouvelles scansions médiatiques font émerger le jour, la semaine et le mois comme unités de mesure de la modernité, même s'il serait erroné de prétendre qu’une expérience linéaire du temps s’est complètement substituée aux longs cycles de l’Ancien Régime. Toutefois, la multiplicité des rythmes de la vie moderne et leurs conflits récurrents entraînent tensions et discordances du point de vue de l’expérience aussi bien individuelle que collective… À l'initiative de Marie-Astrid Charlier et Véronique Samson, la dix-septième livraison de la revue en ligne montpelliéraine Komodo21 nous propose de prendre le temps dans les fictions du siècle de la machine à vapeur et de l'électricité : "Temps vécus, temps racontés dans le roman du XIXe siècle"
Dans les coulisses numériques de la création

Maisons d'écrivain, bibliothèques personnelles, photographies et autres modalités d'incarnation physique : si les différentes manières d'explorer les ateliers de la création littéraire qui excèdent les traditionnels manuscrits ou autres brouillons ont déjà fait l'objet de recherches, passionnantes par ce qu'elles nous révèlent des rituels ou des formes concrètes qu'emprunte l'inspiration, l'enquête inédite menée par le groupe HANDLING durant l'année 2021 auprès d’auteur·e·s belges, français·es et québécois·es porte ce qui s'est substitué aux cahiers, aux feuillets ou aux tapuscrits corrigés, à savoir le bureau (ou desktop) de leurs ordinateurs. Une exposition numérique, Bureaux-écrans d'écrivain·e.s, offre une plongée dans ces espaces virtuels devenus le quotidien des écrivain·e·s contemporain·e·s. Qu’en est-il, pour les auteur·rice·s du XXIe siècle, de ce milieu particulier qui prolonge la surface de travail du meuble-bureau, en en démultipliant les possibilités spatiales et de connectivité ? Comment les écrivain·e·s contemporain·e·s appréhendent-iels ces bureaux-écrans et comment composent-iels avec ? Comment se déploient sur les écrans contemporains l’équivalent des porte-documents, des photographies encadrées ou encore des "tiroirs" abritant babioles et secrets divers ? Quelles peuvent être les dimensions notamment symboliques imprégnant les gestes et pratiques les plus concrets liés au desktop ?
Les archives de Maurice Genevoix entrent à la BnF

De nombreux et généreux donateurs, associés à la Fondation François Sommer, à la Fondation d’entreprise La France Mutualiste et au Fonds du patrimoine du ministère de la Culture, ont permis à la BnF d’acquérir les archives littéraires et personnelles de l’écrivain Maurice Genevoix, à la suite de la souscription lancée le 11 novembre 2021.
Les donateurs, originaires de toute la France ainsi que de l’étranger et âgés de 22 à 98 ans, ont ainsi exprimé leur attachement à la figure de Maurice Genevoix et ont souligné l’importance de la conservation de ses archives. Beaucoup, non sans émotion, ont fait un don pour honorer la mémoire d’un parent qui, ayant combattu durant la Première Guerre mondiale, admirait particulièrement l’écrivain.
Le patrimoine de la Comédie française

Initié par un groupe de chercheurs en études théâtrales, emmené notamment par le regretté Christian Biet, le programme de numérisation des Registres de la Comédie-Française touchera bientôt à son terme : depuis sa fondation en 1680, la Comédie-Française conserve en effet des registres journaliers détaillant recettes, dépenses et distributions. Le projet RCF intègre aussi un corpus de critique théâtrale relatif à la programmation de la Comédie-Française, et des propositions pédagogiques articulant recherche, médiation et création.
Aujourd'hui, c'est l'ensemble du patrimoine de la Maison de Molière qui est proposé en ligne sur le Portail La Grange : plus de 100000 notices et 22000 images, dont des maquettes de décors, des "conduites de garçon de théâtre", des manuscrits de rôles ou de souffleurs… Outre les fonctions propres d'une base de données documentaires, le site invite à se glisser dans la peau d'un costumier pour découvrir la documentation sur laquelle il travaille, ou encore chercher des informations sur sa comédienne favorite… On peut aussi laisser le catalogue décider pour nous, pour découvrir au hasard les objets insolites qui composent le patrimoine de la Comédie-Française.
Aux lieux de Georges Perec

Les éditions du Seuil font paraître dans la collection de Maurice Olender qui avait accueilli Espèce d'espace (récemment réédité dans une version enrichie) mais aussi Je suis né, l’ultime inédit de Georges Perec, Lieux, sous la forme d’un volume de 612 pages (et 1,6 kg), illustré d’archives et de documents photographiques. On connaît "l'idée assez monstrueuse, mais assez exaltante" d'une entreprise qui devait s'étendre sur douze ans, exposée en ces termes dans une "Lettre à Maurice Nadeau" datée de juillet 1969 :
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Cette publication s'accompagne d'un site qui propose la version numérique du texte, en offrant un "parcours numérique augmenté" avec d'oulipiennes possibilités combinatoires, qui eussent enchanté l'auteur de La Vie mode d'emploi, mais aussi des notes complémentaires et trois index numérisés, un dossier documentaire, etc.
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Le 24 mai, de 18h30 à 20h30, à la Bibliothèque de l’Arsenal, l’Association Georges Perec convie les amis de l'auteur à une rencontre avec l’équipe ayant assuré cette édition des Lieux de Georges Perec : Sylvia Richardson, Caroline Scherb, Claude Burgelin, Jean-Luc Joly, Maurice Olender, avec la participation de Christine Lipinska et Pierre Getzler (photographes) et en présence de Philippe Lejeune et d’Annelies Schulte-Nordholt, pour une lecture d’extraits de Lieux par Serpentine Teyssier et Dominique Verrier et une exposition d’extraits du manuscrit…
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Rappelons à cette occasion le documentaire de Robert Bober, En remontant la rue Vilin (1992), désormais en accès libre et déjà salué par Fabula : le réalisateur s'y propose de relier quelques 500 photographies de la même rue du XIXe arrondissement prises sur des décennies, pour les relier à l'œuvre et à la biographie de Perec, en dégageant ainsi l'un des ressorts de sa démarche littéraire : nommer pour sauver de l'oubli, écrire pour témoigner de ce qui fut, "arracher quelques bribes précieuses au vide qui se creuse".
Promesses d'une littérature mondiale

Il y a quelques années Jérôme David faisait paraître Spectres de Goethe. Les métamorphoses de la "littérature mondiale" (Les Prairies ordinaires), dont l'Atelier littéraire de Fabula avait accueilli un large extrait ainsi qu'un entretien de l'auteur avec Lionel Ruffel, et dont Didier Coste avait rendu compte au sein d'un dossier critique d'Acta fabula intitulé "Anywhere out of the nation". Devenu l'un des animateurs du "Bodmer Lab" voué à valoriser les immenses collections de la Fondation Bodmer, J. David avait fait paraître ensuite une anthologie des textes de Martin Bodmer consacrés à la littérature mondiale, accompagnée d'un essai sur Martin Bodmer et les promesses de la littérature mondiale (les deux titres aux éd. Ithaque). Il réunit aujourd'hui une trentaine d'intervenants pour dispenser un cours en ligne (Mooc) gracieusement offert par l'Université de Genève, qui propose d'explorer les liens entre la littérature et la mondialisation. Se trouve ainsi réhabilitée sous le nom de "littérature mondiale" une modernité esthétique méconnue : celle qui a su faire de la littérature un laboratoire critique des échanges culturels.
En dilettante

La nouvelle livraison de la revue interdisciplinaire À l'épreuve entend mettre en lumière une notion riche d'une dense histoire culturelle et imaginaire, et pourtant peu discutée, peut-être en raison de ses connotations péjoratives : le dilettantisme, que caractérise un investissement irrégulier et qui peut sembler désinvolte dans une activité. Le dilettante serait un esthète oisif, amateur, non spécialisé… voire un bourgeois égoïste. S'il existe une forte coalescence de la notion dans la littérature française de la fin du XIXe siècle, le pari engagé par Sixtine Audebert, Sara Maddalena et Julie Moucheron qui supervisent ce sommaire a été de décentrer le terme de ses représentations traditionnelles, pour ouvrir une interrogation plus générale sur l'amateurisme dans les domaines artistiques et littéraires. Les contributeurs et contributrices du numéro ont développé leurs réflexions sur le dilettantisme dans des disciplines aussi diverses que la littérature, l'histoire de l'art, les arts du cirque, la philosophie, ou encore les arts plastiques. Bien qu'elles s'appuient sur des méthodes et des corpus très différents, le point commun entre ces approches est qu'elles problématisent la notion d'engagement politique au prisme de la production artistique.
(Illustr.: Vladimir Makovsky, Le Dilettante en Plein Air, 1896)