éditoriaux

Journée des droits des femmes
La Journée internationale des droits des femmes a lieu ce lundi 8 mars, et constitue une occasion de rappeler que l'égalité est encore aujourd'hui loin d'être acquise. Fabula signale donc à ses lectrices et lecteurs quelques publications récentes consacrées à certaines figures fondamentales des combats pour l'égalité, à l'instar d'un récent numéro de la revue Europe consacré à Virginia Woolf, la biographie de cette même pionnière proposée par Henriette Levillain, la récente édition dans la collection Folio du journal de la suffragiste Aubertine Auclert ou encore un bel ouvrage consacré aux peintres femmes entre 1780 et 1830. Dans le registre autobiographique, on trouve l'enquête de Rose-Marie Lagrave sur son propre parcours de sociologue féministe, dans lequel elle remet en cause les récits dominants sur la méritocratie, les stéréotypes associés aux transfuges de classe, le mythe d’un «ascenseur social» décollant par la grâce de talents ou de dons exceptionnels. Dans le champ anglophone, enfin, plusieurs ouvrages théoriques proposant notamment de relire certains récits télévisuels au prisme des rapports de genre ou d'interroger l'inégalité à travers des contributions de spécialistes de différents domaines ont récemment vu le jour, et complètent de manière utile ce tour d'horizon non-exhaustif.
[Illustration: Virginia Woolf en couverture de la revue Europe]
Voyages en Sicile

L'année 2021 marque le centenaire de la naissance de l'auteur sicilien Leonardo Sciascia. Diverses publications ont vu le jour à l'occasion de cet anniversaire, à commencer par Portrait sur mesure aux éditions Nous, qui propose un choix de textes (articles, essais, souvenirs, textes d’intervention) de Leonardo Sciascia, traduits pour la première fois par Frédéric Lefebvre. On peut lire sur le site de l'éditeur l'introduction de ce livre réunissant des analyses subtiles et jamais convenues des difficultés de la Sicile, des réalités de la mafia, mais aussi de l’histoire de l’île et des enjeux de la littérature. Récemment, des rééditions en français de l'oeuvre romanesque de Sciascia ont été proposées, notamment aux éditions Sillage avec Le Chevalier et la Mort, l’un des derniers écrits publiés par l'auteur, roman ironique et érudit et forme de testament littéraire. Enfin, les Cahiers de l'Hôtel de Gallifet ont réuni dans le recueil Stendhal for ever. Écrits 1970-1989 toutes les pages consacrées par l'écrivain sicilien à l'auteur de la Chartreuse. Bibliophile raffiné et lecteur insatiable, Sciascia y adopte la démarche du glaneur qui savoure le plaisir de retrouver, au fil de ses explorations littéraires, les traces de la présence, manifeste ou secrète, d'un écrivain auquel il voue une véritable adoration.
[Image: photographie de Leonardo Sciascia, source: Babelio]
L'empire du rire

Avec l’avènement de la démocratie, le rire apparaît comme un bien commun, partagé par tous et irriguant la totalité de l’espace public. Ce rire démocratique prend aussi appui sur la puissance de propagation et d’innovation des nouvelles industries médiatiques, qui acquièrent un poids économique et une force de frappe incomparables : acteur majeur de notre culture moderne du loisir et du divertissement, le rire s’est imposé à tous et constitue aujourd’hui l’un des moteurs de la société marchande et du consumérisme. Mais le rire répond aussi à un besoin anthropologique plus large : il soulage face aux angoisses de l’existence, et permet d’expérimenter le plaisir de la connivence sociale et celui de la fantaisie imaginative. Réuni par M. Letourneux et A. Vaillant sous le titre L'Empire du rire. XIXe-XXIe siècles (CNRS éd.), un volume d'un millier de page offre à la fois une histoire culturelle du rire, une description de ses formes et des techniques utilisées, une réflexion théorique sur ses usages dans l’espace social. Des catégories du risible aux cibles du rire, de l’esthétique du rire à son usage au service des idéologies – à travers les beaux-arts, la littérature, la caricature, les arts de la scène, la télévision et les médias, la publicité, internet, l'ouvrage nous redonne accès à toutes les grandes figures de l’humour depuis près de deux siècles, en prenant au sérieux la culture du rire pour mesurer le rôle capital qu’elle a pu jouer dans l’histoire de notre modernité.
Et parce que Fabula a toujours le mot pour rire, rappelons que l'Atelier de théorie littéraire de Fabula donne à lire l'introduction du précédent ouvrage d'A. Vaillant sur le sujet, "La civilisation du rire", et propose imperturbablement des entrées dédiées à l'Humour et au Comique, mais aussi, dans les Colloques en ligne, les actes d'un colloque tenu naguère à l'Université de Lausanne à l'initiative de M. Caraion et L. Danguy: "Le rire : formes et fonctions du comique".
(Photo.: ©René Maltête)
La visite au vieil homme

À l’occasion du centenaire de la naissance de Friedrich Dürrenmatt, Albin Michel publie un premier tome de ses œuvres complètes, préfacé par Amélie Nothomb et réunissant quatre de ses plus grands romans - La Promesse, La Panne, Le Juge et son bourreau et Le Soupçon. Le centre d’art neuchâtelois qui porte le nom de l’auteur renouvelle son exposition permanente, programme plusieurs événements commémoratifs et fait paraitre un volume dirigé par Madeleine Betschart et Pierre Bühler consacré au dialogue entre écriture et peinture chez Dürrenmatt.
En effet, si l’on étudie beaucoup l'œuvre théâtrale et romanesque de Dürrenmatt, on sait moins qu’il était également un peintre abondant – ainsi qu’un caricaturiste, comme en témoigne une récente contribution de Philippe Kaenel parue dans les Colloques en ligne de Fabula. De la satire politique (on appréciera Guillaume Tell armé d’une bombe atomique dans sa Critique de l’affaire Mirage) au jeu complexe autour de la notion de représentation (Dürrenmatt peint régulièrement ses propres mises en scènes théâtrales avec une certaine liberté), l’œuvre hétéroclite du suisse devrait susciter encore longtemps l’intérêt de la critique.
(©Illustration : Critique de l’affaire Mirage (1973), collage, encre de Chine et gouache sur une carte de la Suisse)
Selon Matthieu

Après Des verticales dans l'horizon et Trois soulèvements, sous-titré Judaïsme, marxisme et la table mystique, Denis Guénoun poursuit aux éditions Labor et fides (Genève) sa méditation entre esthétique et théologie avec un essai sur le prénom Matthieu tel qu'il circule d'un art à l'autre, depuis les grandes toiles consacrées à saint Matthieu par Caravage, jusqu'à l’immense Passion selon Matthieu de Bach, mais aussi L’Évangile selon saint Matthieu de Pasolini, en laissant vibrer les résonances du récit biblique. L'enquête prend aussi la forme d'une quête autobiographique où le prénom de Matthieu fait figure "d'indice dans une intrigue dont on ignore la clé". Rappelons la parution il y a quelques semaines aux éditions MétisPress, et toujours à Genève, du volume collectif Avec Denis Guénoun. Hypothèses sur la politique, le théâtre, l'Europe, la philosophie, supervisé par É. Eigenmann, M. Escola et M. Rueff.
Patrimoine et littérature

Récemment créé, le réseau Patrimonialitté rassemble des chercheur.euse.s intéressé.e.s par les principaux axes en fonction desquels se déclinent les rapports entre littérature et patrimoine. D’une part, la fabrique du patrimoine littéraire, c’est-à-dire la constitution de la littérature comme patrimoine et, d’autre part, la fabrique littéraire du patrimoine, c’est-à-dire la mobilisation, voire l’instrumentalisation, de la littérature comme outil de patrimonialisation pour d’autres objets ou d’autres formes et pratiques culturelles. Le réseau Patrimonialitté, ouvert à tous les chercheurs et chercheuses, se donne pour but de dresser le panorama des recherches en cours et de contribuer à fédérer les projets dans ce domaine, à travers, notamment, un agenda, un séminaire (dont les visioconférences sont en libre accès) et un annuaire de chercheurs et chercheuses, hébergés sur un Carnet de recherche.
Philippe Jaccottet s'absente du paysage

Le poète suisse Philippe Jaccottet est mort à Grignan le 24 février 2021, à l’âge de 95 ans. De son écriture, on retiendra une forme intense d’attention au monde et un souci de justesse dans la volonté de transcrire par les mots l’instant saisi, qui ne se déparent jamais de l’inquiétude de ce que «peut la parole» comme dirait Jean Starobinski. Si l’on peut parler d’une éthique chez Philippe Jaccottet, c’est bien celle de la parole simple, qui se veut hésitante, tâtonnante, car elle sait que «c’est le tout à fait simple qui est impossible à dire», de même qu’un bol de terre est le plus difficile à peindre. L’œuvre de Philippe Jaccottet a été rassemblée en 2014 dans la Bibliothèque de la Pléiade, reconnaissance que seuls de rares écrivains suisses ont obtenu, et aucun de son vivant. La collection Blanche de Gallimard fait également paraitre deux inédits, un recueil de notes et un recueil d'une trentaine de poèmes dans lesquels le poète revisite les grands textes qui l'ont inspiré. Enfin, un volume rassemblant des écrits de l'écrivain sur les arts plastiques et la peinture est à paraître aux éditions Le Bruit du Temps.
[Image : Philippe Jaccottet - Grignan, 2007 © Serge Assier]