éditoriaux

Traduire, transposer, composer
Quels usages poétiques fait-on du langage hors de "l’Occident", et que peut-on en saisir "en Occident" ? Ces usages, comment les aborder sans reconduire les "grands partages" (entre nous et les autres, entre écrit et oral, entre savant et populaire) qui conditionnent leur transmission ? Comment donner forme écrite à des pratiques artistiques orales ? Comment comprendre et traduire les arts verbaux très différents des canons littéraires européens ?`Ces questions, de nombreux écrivains se les sont posées et ont tenté de leur apporter des réponses. De la chanson tupinamba des "cannibales" de Montaigne au haïku "pour moi" de Roland Barthes, en passant par la pratique symboliste du pantoum ou l’intérêt de Jean Paulhan pour les hain-teny merinas, l’histoire littéraire est constellée d’aventures de transfert, aux motifs et aux succès variables. Ces tentatives ont en commun de ne pas laisser inchangées les pratiques de ceux qui en sont les artisans, d’affecter — étayer ou altérer — leur idée de ce qu’est la littérature, en révélant ses implications esthétiques et linguistiques, mais aussi sociales et politiques. Trois journées d'études organisées en ligne par l'Université de Genève les 27, 28 et 29 mai 2020 se sont attachées à éclairer les modalités d’ouverture, au XXe siècle, des écrivains, lettrés ou savants aux poétiques extra-occidentales, et à rendre compte de la manière dont s’opèrent des transferts de formes entre aires culturelles distinctes. Les actes de ces journées, réunis par Magali Bossi, Éléonore Devevey et Sébastien Heiniger, sont à présent disponibles dans la rubrique Colloques en ligne de Fabula.
Cyrano rouvre les théâtres

En partenariat avec le Réseau Canopé et Théâtre en Acte, la rédaction de Théâtral magazine a développé sous le nom de Cyrano une plateforme vidéo qui propose aux enseignants des collèges, lycées et universités francophones un accès libre et gratuit à un catalogue de captations, en lien avec les programmes scolaires. Ces captations intégrales sont assorties de compléments éducatifs sous la forme d'interviews, de liens vers des dossiers, d'éclairages dramaturgiques, de pistes pédagogiques etc.
(Illustr.: Valérie Dréville est Phèdre, m.e.s. Luc Bondy, Vidy-Lausanne, 1998)
Voyages inaboutis

Les voyages suscitent le désir, mais ne sont pas toujours heureux (souvenez-vous): on voyage souvent mal ; sentiment d’ennui, de vanité ou d’inutilité face à l’entreprise, obstacles, changements d’itinéraire, interruptions et contretemps frustrants, événements forçant le voyageur à un retour précoce, et même, dans le pire des cas, mort en chemin sont autant de causes susceptibles de condamner le voyage comme son souvenir. L’échec, toutefois, peut également devenir un ressort essentiel de l’écriture viatique. À l'initiative de Nathalie Vuillemin, la huitième livraison de la revue Viatica constitue un guide pour les "Voyages inaboutis".
(Illustr.: Scène de rue au Caire, par Prosper Marilhat, ca. 1850)
Manières d'être(s)

Dans Manières d’être vivant, Baptiste Morizot déplace le curseur de la perception du côté du vivant, abandonnant la seule focale de « l’espèce qui a fait sécession en déclarant que les dix millions d’autres espèces étaient ‘‘de la Nature’’ ». Ces réflexions contemporaines, nourries d'enquêtes sur les formes de (la) vie, envisagent des modes d’organisation politique alternatifs, basés sur l’interdépendance et l’altérité. D’autres ouvrages récents collaborent à l’investigation, accueillis eux aussi dans la collection « Mondes sauvages. Pour une nouvelle alliance » des éditions Actes Sud, comme Habiter en oiseau de Vinciane Desprets, qui interroge la notion de territoire du point de vue animal, ou Penser comme un iceberg d’Olivier Remaud, centré pour sa part sur l'instabilité de la frontière (toute anthropocentrée) entre le minéral et le vivant. Pour un regard sur le végétal, plus spécifiquement ancré dans la métaphysique, les presses du réel éditaient il y a deux semaines la traduction française d’un succès paru en 2013 aux USA, Plant-thinking de Michael Marder, sous un titre sans équivoque : La pensée végétale. Nul doute que l’ample travail contemporain de refondation philosophique de notre rapport au vivant continuera à alimenter la recherche interdisciplinaire en écologie culturelle et sociale, qu’on pense à l’éco-histoire (dont le récent Les révoltes du ciel sera sans doute un jalon important) ou bien sûr à l’éco-poétique qui s’annonce comme un incontournable des études littéraires futures et compte déjà nombre de parutions francophones.
Archives audiovisuelles de la littérature

Si la place des sources sonores et filmiques reste marginale dans les archives littéraires, ces documents représentent une part considérable et grandissante de la mémoire du passé littéraire. Des institutions telles que le Centre d’archives Gaston-Miron (CAGM) à Montréal, les Archives et Musée de la littérature (AML) à Bruxelles, les Archives littéraires suisses (ALS) ou l’Institut Mémoires de l’édition contemporaine (IMEC) en conservent chacune un nombre qui se chiffre en milliers, en majeure partie numérisés. D’autres fonds, d’une ampleur au moins équivalente, se trouvent dispersés dans les archives de chaînes de radio-télévision, dans les archives d’institutions comme l’INA et la Sonuma, ou encore sur des plateformes en ligne (UbuWeb, Pennsound, mais également YouTube, SoundCloud...). La diversité matérielle et générique de ces sources ainsi que l’éclatement des lieux de conservation soulèvent de nombreuses questions, dont celle (non la moindre) de la définition et de l’étendue du concept d’archive littéraire. À l'initiative de Selina Follonier, Anthony Glinoer et Karim Larose et sous le titre "Archives audiovisuelles de la littérature", un colloque en ligne se propose du 14 au16 avril 2021de brosser un panorama des recherches en cours.
Les morts-vivants

Après un (réussi) Éloge des ratés, la bien vivante collection "Fictions pensantes" dirigée aux éd. Hermann par F. Salaün, qui fêtait l’an passé sa dixième année d’existence, accueille un deuxième essai de Ninon Chavoz: Les morts-vivants, sous titré Comment les auteurs du passé habitent la littérature présente. Car les auteurs qui reposaient paisiblement au Panthéon viennent désormais hanter les romans français et francophones contemporains du sceau de leur obsédante présence : celle-ci se manifeste moins par une prolifération intertextuelle que par une véritable résurrection, qui peut prendre la forme de zombis walks, de revenances spectrales ou de réincarnations en tous genres. N. Chavoz nous invite à suivre leur titubant cortège : au détour d’étranges rencontres avec Baudelaire, Rimbaud et d’autres, elle délivre quelques réflexions sur l’état présent de la littérature, sur son dialogue avec la culture populaire et sur le rapport des lecteurs et des auteurs d’aujourd’hui au patrimoine littéraire. Fabula donne à lire l'introduction de l'ouvrage…
Rappelons au passage aux éditions Champion la thèse de N. Chavoz consacrée à la tentation encyclopédique dans l’espace francophone africain, et les "Entretiens littéraires" qu'elle avait organisés en 2016-2017 à l’École Normale Supérieure, accueillis parmi les Colloques en lignes de Fabula sous le titre "Les Rencontres d’Afriques Transversales".
Le XIXe siècle reste à venir

Après Poétique et Littérature, c'est au tour de la revue Romantisme de fêter son cinquantième anniversaire. Issue de la Société des études romantiques sous l’impulsion de Pierre Barbéris, la revue s'est longtemps donnée pour tâche de penser "l'impossibile unité" du Romantisme. Dans son éditorial, Françoise Gaillard rappelle qu'en 1970, "les temps étaient alors plus aux échanges vifs qu’au consensus. Mais cette vivacité témoignait d’une passion pour les idées et d’une implication personnelle dans les orientations à donner à la recherche et dans le choix des méthodes d’analyse des textes". Aujourd'hui comme hier, le romantisme a besoin d’impertinences et d’audaces, d’écarts plus que d’égards, comme en témoigne le 191e sommaire intitulé: "Le XIXe siècle à venir".